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Dark déglutit, préférant éviter de se remémorer les images qu’il avait vues quelques heures plus tôt. Mais il se résolut tout de même à les lui résumer.
— Une ado, dix-sept ou dix-huit ans, rousse, peau pâle, taches de son. Elle sommeille. Sans se douter que Sqweegel est sous son lit et attend qu’elle soit profondément endormie. Ensuite, il agit. Il grimpe sur elle…
— Putain, marmonna Riggins en secouant la tête.
— Elle se réveille à temps pour sentir le premier coup de rasoir qui lacère sa chemise de nuit bleue. Elle se débat, mais chaque fois qu’elle lève le bras il la lacère. Elle finit par renoncer. Une fois qu’il l’a pénétrée, il continue de regarder vers un coin de la chambre.
— Pourquoi ?
— Au début, ce n’était pas clair. J’ai pensé qu’il était en train de fixer l’objectif, et puis je me suis rendu compte qu’il se donnait en spectacle pour quelqu’un d’autre dans la pièce.
— Oh, merde ! comprit aussitôt Riggins. Un bébé ?
— Attaché sur un siège de bébé, l’endroit idéal pour voir sa mère se faire tailler en pièces. Il a dû rester assis là pendant Dieu sait combien de temps à réclamer son biberon. La vidéo s’arrête là.
— Bordel de merde !
Ils restèrent silencieux un moment.
Dark repensa à d’autres détails qu’il avait remarqués. Les objets du quotidien qui faisaient désormais partie d’une mise en scène macabre et sanglante. L’édredon à fleurs roses trempé de sang. Le nounours avec son nœud papillon tout éclaboussé de taches rouges. Un petit cure-dents en plastique sanguinolent. D’une certaine manière, c’était presque aussi insupportable à voir que le corps mutilé de la jeune fille. Des objets sortis de leur contexte habituel pour s’intégrer dans un spectacle d’horreur.
— Je ne savais pas, dit Riggins.
— Oui, je te crois. Sinon, je ne crois pas que tu serais venu me l’apporter. Mais cela veut dire que quelqu’un de ta hiérarchie a compris comment toucher un point sensible chez moi. Peut-être qu’ils savent que Sibby est enceinte…
— Quoi ? Merde… Félicitations à l’heureux papa. Même si je suis vexé que tu ne m’aies pas annoncé la nouvelle plus tôt. C’est pour quand ?
— Elle doit accoucher dans quelques semaines, dit Dark, agacé de faire cet aveu. Le fait est que quelqu’un essaie de bousiller ma vie. Et je me suis juré il y a deux ans que ça n’arriverait plus jamais. Ce matin, j’étais retiré des affaires, et je le suis encore.
— Tu dois te dire que je suis furieux contre toi, dit Riggins en sortant une autre cigarette.
Dark haussa les épaules. Riggins se retourna et lui posa une main sur l’épaule.
— Eh bien, ce n’est pas le cas. Je suis jaloux, en réalité. Tu as une vie qui t’attend dans ta jolie petite maison de Malibu. Et un bébé… Eh bien, ça change tout. En d’autres termes, je te comprends. Je donnerais n’importe quoi pour être à ta place en ce moment.
Il y eut un silence gêné, puis Riggins lui tendit la main. Dark fronça les sourcils et la serra. Riggins en profita pour se pencher vers lui.
— Une dernière chose. Je n’ai pas envie de faire plaisir à ces deux connards. Alors, sois sympa avec moi et viens te balader avec le condamné à mort que je suis, d’accord ?
Dans leur 4x4, Nellis et McGuire virent sur leur petit moniteur vidéo les deux hommes se serrer la main et remonter la jetée.
— Dark en mouvement avec Riggins, annonça Nellis dans son micro. Toujours aucune confirmation.
Leur véhicule était équipé de caméras haute définition et de micros omnidirectionnels. Mais leur portée était limitée. À mesure que Riggins et Dark s’éloignaient, Nellis et McGuire ne pouvaient capter que des bribes de leur conversation. Ils devaient se rapprocher sans pour autant se faire voir.
Tôt ou tard, ils connaîtraient les intentions de Dark. Un « oui » épargnerait la vie de Riggins. Un « non » signifierait une nuit très occupée pour eux. Seringues. Couteaux. Baignoires d’acide. Et éponges. Des tonnes d’épongés.
Riggins faisait durer le plaisir… Mais Nellis était bien forcé de l’admettre : ne serait-ce que pour mettre fin à son ennui, il avait hâte d’y être.